Retranscription d'une interview télévisée de Jean-François Revel.
[Le Français] ne pense pas du tout que l'homme qui est au pouvoir a été mis au pouvoir par lui, citoyen, qu'il est en somme son délégué, son homme d'affaire. Il pense toujours que l'autorité politique est plus ou moins moulée sur l'autorité militaire ou sur l'autorité universitaire (telle qu'elle est conçue en France), qu'elle est toujours plus ou moins sacrée; et que l'Etat n'est pas du tout une émanation de la nation, même quand cela résulte d'une consultation électorale, mais une sorte d'instance supérieure qui vous accorde ou vous refuse certaines choses. De sorte que la tradition de rouspétance du citoyen français à l'égard de l'Etat est une compensation, c'est un chahut d'élève dans un fond de classe; ce n'est pas réellement la conscience du citoyen qui dit: tu es là parce que je t'y ai mis - qui t'a fait roi ?
Dans la vie quotidienne française c'est une expérience que l'on a constamment. Quand vous avez affaire à un fonctionnaire des PTT, un fonctionnaire des finances, il ne vous donne jamais l'impression qu'il est à votre disposition, il vous donne l'impression qu'il consent à s'occuper de vous. C'est à dire qu'il détient une modeste parcelle de ce mana suprême qu'est l'autorité de l'Etat et que accessoirement, si vous êtes gentil, et si vous ne criez pas trop fort, il va bien vouloir vous vendre un timbre poste; mais il faut faire attention que vous n'en preniez pas l'habitude.